La présence de la Camargue dans cette liste de sites pressentis a surpris de nombreux acteurs locaux, y compris les gestionnaires d’aires naturelles protégées et les associations naturalistes et de protection de la nature, au vu de l’histoire de ce territoire et des nombreux moyens engagés par les acteurs et par l’État depuis des décennies pour le protéger.
La Camargue est une vaste plaine alluviale qui constitue un ensemble exceptionnel de zones humides à l’échelle européenne, de par sa superficie et la diversité de ses habitats naturels, résultat d’un combat de longue haleine entre la puissance du fleuve Rhône et la Mer Méditerranée. Ce territoire réparti sur deux départements et deux régions est resté peu habité.
La Camargue a connu une accélération de l’emprise des humains à partir du milieu du xixe siècle à des fins de valorisations agricole et salicole. Les fonctionnalités « naturelles » ont durablement été affectées et la relation originelle fleuve-mer est devenue totalement à la main de la gestion humaine.
Le delta a pu se maintenir à l’écart des grands aménagements de la 2nde moitié du xxe siècle parce qu’il a été précocement protégé par la 1re réserve naturelle créée en France, en 1927, non pas par l’État mais par un acteur privé associatif et scientifique : la Société nationale de protection de la nature. Cette société savante a alors obtenu le soutien des défenseurs du patrimoine culturel camarguais et provençal. En effet la forte identité culturelle de la Camargue est porteuse de savoir-faire et de traditions vivantes en lien avec l’élevage, ancrées dans la défense d’une culture provençale et de particularismes locaux, construite dans une opposition à une uniformisation culturelle pensée, à tort ou à raison, comme voulue par la capitale et le niveau national.
De nombreux outils de protection ont suivi avec la création du PNR en 1970 (souhaité et porté par les acteurs locaux), la désignation du site RAMSAR (1971) et un ensemble d’espaces protégés recouvrant aujourd’hui près de 30 000 ha (réserves nationales, régionales, ENS, terrains du Conservatoire du Littoral). Près de 17 couches de protection sont actuellement présentes sur l’ensemble deltaïque : chacune possède sa logique et sa pertinence.
Depuis les années 1970, l’outil PNR a été choisi par les acteurs locaux, les collectivités et l’État parce qu’il répondait à cette particularité et à la complexité en matière de jeu d’acteur, et parce qu’il apparaissait comme la meilleure solution pour impliquer les parties prenantes. Une forte résistance (historique d’ailleurs) à l’autorité de l’État existe également par le poids des grandes propriétés de type latifundiaire qui assurent la protection d’espaces naturels de grande valeur notamment en périphérie des réserves naturelles.
Toutes les tentatives précédentes de créer un parc national ont fait l’objet d’une opposition farouche y compris de la part des acteurs de la protection.
Actuellement l’ensemble des protections précitées apparaissent complémentaires, bien implantées dans le territoire et acceptées par les acteurs locaux.
Dans ces conditions particulières, ajouter une protection de type parc national sur ce site et bouleverser les équilibres patiemment construits ne parait pas présenter une plus-value évidente.
En effet, l’enjeu actuel le plus prégnant pour la Camargue et pour les Camarguais n’est pas un enjeu d’outil de gestion mais un enjeu de destinée : maintenir un système poldérisé et géré par l’humain, quelque en soit le coût, d’un côté ou, de l’autre, favoriser les processus de renaturation, le tout face aux premiers effets du dérèglement climatique et l’exposition particulièrement importante de ce territoire pour les décennies à venir ? La solution se trouve sans doute dans un entre-deux évolutif à construire avec les parties prenantes.
L’outil PNR, choisi par l’État et les Camarguais en 1970 est toujours adapté aux enjeux actuels, à la condition que sa gouvernance associe réellement les acteurs du territoire.
Le cœur de la Camargue (13 200 ha de la RNN Camargue) est déjà protégé par un arrêté ministériel très exigeant et garant d’une protection forte, quasiment unique en France (catégorie I de l’UICN alors que le cœur des Parcs nationaux français sont classés en catégorie II). Il est complété par la RNN des Marais du Vigueirat et la RNR de la Tour du Valat ainsi que par diverses propriétés du CELRL.
Un Parc national en Camargue n’apporterait aucun gain, ni en matière de protection, ni en matière de concertation et de projet territorial, ni en matière de recherche scientifique.
L’État doit continuer à assumer et renforcer son rôle de tutelle et d’arbitre, à l’appui des gestionnaires et du territoire.
Des actions concrètes sont attendues sur le territoire camarguais notamment :
1/ Sur le plan réglementaire
Augmenter le niveau de protection de la zone marine devant le delta du Rhône notamment dans le golfe de Beauduc et l’embouchure du grand Rhône.
Mettre en œuvre l’attribution du Domaine Public Maritime au Conservatoire du Littoral entre les Saintes Maries de la Mer et Salin de Giraud.
Envisager la création de nouveaux espaces protégés sur des milieux directement menacés par la montée de la mer, pour faciliter l’adaptation.
2/ Sur le plan des politiques contractuelles
Relancer la procédure pour établir un nouveau contrat de delta voire, de manière plus ambitieuse, engager la mise en place d’une démarche SAGE comme cela est le cas dans la partie Gardoise de la Camargue.
Orienter les nouvelles Mesures Agro-Environnementales pour mieux soutenir l’élevage extensif très favorable à la biodiversité (et moins l’agriculture intensive), limiter le morcellement des parcelles, la quantité d’intrants (pas d’amendements ni d’affouragement en AOP « taureau de Camargue »), valoriser une culture et des savoir-faire spécifiques.
Expérimenter les Paiements pour Services Environnementaux.
Soutenir, amplifier et pérenniser le « plan de sauvegarde du Vaccarès ».
3/ Sur le plan des moyens de contrôle
Créer et mettre en place une Brigade Mobile d’Intervention spéciale « Camargue et zones humides littorales » de l’Office Français de la Biodiversité.
Doter l’antenne d’Arles de la DDTM d’une équipe de la police de l’eau afin d’améliorer le contrôle des phytosanitaires et les nombreux travaux réalisés non conformément à la loi sur l’eau.
4/ Sur le plan des moyens de gestion
Augmenter les moyens financiers pour la gestion des espaces naturels protégés pour permettre aux gestionnaires de mieux exercer leurs missions de suivi et d’expertise dans un contexte de changement climatique, et de médiation scientifique.
De façon globale et à l’échelle nationale, nous estimons que la protection des zones humides ne passe pas uniquement par la création localisée d’un parc national, mais par une véritable ambition qui permettrait de sécuriser dans la loi un statut de protection forte nécessitant une dérogation avec application du principe « Éviter, Réduire et Compenser » en cas d’atteinte. Ce principe serait applicable sur l’ensemble du territoire français pour la sauvegarde et la restauration de toutes les zones humides, qu’elles soient littorales, de plaines ou de montagne, temporaires ou permanentes, vastes ou de taille modeste.
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